Un éclat dans les yeux
1 octobre, 2021
Texte d'accompagnement
Par Maude Bourassa-Francoeur
Le corps comme un vaisseau («the body as a vessel»), offert à regarder. Quatre humains, assis et posant pour le regard observateur de l’artiste Sonia Ekiyor-Katimi, engagée dans une démarche de portrait bâti sur des entrevues, des récits de vie, des intimités.
Les yeux habitués à cette lumière vont la reconnaitre, dans le détail d’une posture assurée, d’une oreille tendue, d’un bijou soulignant une partie du corps.
Queerness. Une formule magique.
Une aura entoure ces humains – subversifs par le seul fait de vivre sans honte –, perceptible à celleux qui possèdent les codes.
Renvoyer le regard, le sourcil levé en signe d’invitation.
Marcher avec fierté, pour mieux s’éloigner des exigences de l’hétérocisnormativité.
Vivre en des lieux où le langage, la politique, la morale dictent dans quelles limites l’on peut s’exprimer et aimer.
Quitter ces endroits, en laissant une part de soi pour mieux en embrasser une autre.
Discuter, répondre, s’exposer à l’artiste qui saisit par les mots des bribes de soi pour mieux les partager dans un nouveau langage. Celui des couleurs vives, des ombres et des lumières cachés dans les plis d’un vêtement. Celui du regard amoureux envers saon partenaire, de mains tendues en offrande, de sourires qui veulent dire : tu me comprends.
Facile d’entrer en conversation, puisque l’artiste, est aussi queer ayant quitté son pays d’origine où il est illégal, criminalisé d’aimer qui l’on veut et d’être qui l’on est.*
Ses coups de pinceaux recouvrent la honte, déborde de ses lignes pour faire jaillir la douceur, la quiétude d’être bien soi. Des nouvelles frontières qui dépassent celles de codes de loi, des us et coutumes pour en inventer de nouvelles – une novlangue où la limite de l’expression est propre à chacun.e.
Les portraits représentent des personnes non-binaires, trans, lesbiennes, asexuelles, qui exultent, les commissures fendues en un sourire bienveillant. Rien ne laisse présager dans cette représentation les divers traumas vécus par chacun.e mentionnés en entrevue. Seule brille cette étincelle, qui témoigne de la confiance octroyée à l’artiste. Et c’est de ce don de soi aussi dont il est question dans cette résidence. Être en mesure de s’ouvrir à nouveau après avoir caché sa véritable identité. Retrouver la confiance en autrui. Créer sa propre communauté. Choisir sa famille. S’exprimer par de nouveaux moyens : stylistiques, artistiques, linguistiques.
En choisissant le portrait comme mode de représentation de ces histoires, Ekiyor-Katimi fait un beau pied de nez à l’histoire de l’art, puisque c’est un genre qui représentait en majorité et ce pour une longue période, les gens ayant du pouvoir, de l’autorité, de l’argent, leur assurant ainsi une pérennité par leur représentation visuelle et matérielle. Voilà qu’iel affirme par sa pratique : iels existent, malgré toutes vos tentatives d’effacement! Une marque de postérité pour un avenir où les histoires, les existences queers prendront davantage d’espace, jusqu’à déborder des lignes trop longtemps rigides de nos sociétés.
*Ici, aucun endossement de l’homonationalisme, pas de glorification du Canada comme terre sainte des droits et libertés des minorités sexuelles et de genre, loin de là. La transphobie, enbyphobie, lesbophobie, biphobie, homophobie, persistent tant dans les lois que dans la culture canadienne. D’ailleurs, les lois discriminatoires de chacun des pays d’origine des interviewé.e.s sont mentionnées dans les entrevues, tout comme il y a des lois au Canada qui discriminent encore ces groupes, et même de nouvelles mises en place à l’heure où sont écrites ces lignes (coucou le projet de loi 2 au Québec).
Maude Bourassa-Francoeur lit et corrige des textes, en écrit rarement, en direct de chez elle, à Montréal. Elle complète présentement le DESS en édition de l’Université de Sherbrooke pour lire, corriger et (ré)écrire encore plus, encore mieux.