Résidence : du 19 au 29 septembre
Vernissage : le 30 septembre à 17h
Commissaire : Annie Molin-Vasseur
Le rapprochement des mots « extension » et « intime » semble paradoxal. L’un représentant l’éloignement d’un point de référence et l’autre le focus sur celui-ci. Comment en est-on venu à juxtaposer ces deux appellations dans cette série d’expositions organisées sous l’égide de l’Association des Groupes en Art Visuel Francophones (l’AGAVF) ? S’agit-il là d’une démarche dualiste, style confrontation entre artistes de lieux différents? Précisons que 15 artistes de trois régions ont participé à cet événement. En fait, l’AGAVF a mis sur pied un projet, l’Échangeur, qui a pour but, précisément, lors d’échanges entre régions, de rapprocher, donner une plus grande visibilité et stimuler les productions d’artistes de centres éloignés.
L’Échangeur 1 s’est traduit par l’opération « Extensions intimes » où chaque région invitait de deux à quatre artistes de l’extérieur à travailler avec un ou deux artistes locaux. Les artistes invités étaient accueillis en résidence pendant deux semaines. Le public pouvait suivre le processus artistique de tous les intervenants.
La commissaire de ces expositions, Annie Molin Vasseur, a fait le choix du thème : Extensions intimes. Lors de la sélection des dossiers elle a constaté qu’une majorité de travaux abordaient le sujet de l’intimité. Dans un texte qui résume la thématique elle écrit : « L’intime n’est pas forcément une récurrence du lyrisme, en ce sens que l’intime peut être abordé sans toucher au subjectif, toutefois il n’interdit pas une fiction basée sur son propre vécu […] l’intime pourrait être défini de façon générale par ce qu’il y a de plus profond par rapport à l’intérieur d’un être, par rapport à la conscience, par rapport à toute relation privée ou publique qui s’investit dans le personnel, le secret, le familier ou le quotidien. » Si elle s’est surtout arrêtée sur la définition de l’intimité, la commissaire a très peu commenté le mot extension qui est tout de même le substantif de sa proposition.
À Sudbury, la Galerie du Nouvel-Ontario mettait son espace à la disposition de trois femmes. Elles ont dès le départ investi chacune un lieu différent. Gaétane Godbout, de Rouyn-Noranda, est intervenue sur la façade de la galerie ; Marie Colette Jacques au sous-sol ; et Gisèle Ouellette sur un mur intérieur.
Installée sur le trottoir adjacent à la galerie, où circulaient les habitants du quartier, Gaétane Godbout leur a proposé de photographier leurs mains. On ne peut pas trouver interaction plus directe. Certaines de ces photos ont été incorporées à l’installation de la façade avec celles des mains de l’artiste transcrivant le mot intimité, avec les signes gestuels des sourds-muets. D’autres clichés occupaient le coin du mur proche de cette façade. L’artiste avait couvert de gaze ces photos, demandant ainsi aux spectateurs de lever le voile sur leur identité. Chacun.e pouvait récupérer la photo de sa main, laissant un petit espace mural libre dans lequel il ou elle avait le loisir d’intervenir. Quelques-uns y allant d’un écrit intime ou non, d’autres d’un dessin.
Marie-Colette Jacques, de Larder Lake, rappelant ses origines autochtones, a construit un habitacle qui tenait de la tente traditionnelle et d’un sexe féminin. La descente d’escalier qui menait à cet espace, couvert tel un tunnel s’apparentait à l’entrée du vagin ou à un pénis. De branchages de cèdre jonchaient le sol et conviaient, par leur confort, à la méditation ou à toute forme d’intériorité. Certains spectateurs vivaient même un rappel de leur insertion originale dans le ventre maternel. Il y avait ici la proposition symbolique d’entrer au plus profond de soi, avec ce que toute cette proximité pouvait évoquer. Par ailleurs, le cèdre, dont l’odeur imprégnait fortement l’installation, est reconnu chez les autochtones pour ses vertus thérapeutiques.
Gisèle Ouellette, de Moncton, avait apporté dans ses bagages du matériel intime fait en grande partie de photographies concernant son parcours personnel. Son montage mural, offert au regard du public, ne constituait pas un échange au premier degré, sinon artistique, mais chaque photographie de la série révélait un aspect de l’histoire de l’inconscient créateur, et renvoyait à l’imaginaire de chacun pour créer des liens.
L’incontestable intégrité de la recherche de ces artistes en régions nous laisse toutefois interrogatif face à cet « engouement », à ce « retour » ou à ce « questionnement » sur l’intimité, à ces formes d’expression et extensions que nous ne pouvons tous répertorier. Répondant à notre questionnement, la commissaire précise que, pour elle : « L’expression de l’intime est la réinsertion du sujet au centre de l’art, au centre de soi, la base même de la création, après l’importance accordée à l’autoréférentialité de l’art. » Quant à notre interrogation sur l’extension, elle sourit, évoque les nouvelles éthiques mais tient à garder en cours sa réflexion. Elle précise qu’un livre doit sortir sur la thématique de l’extension intime, où plusieurs historiens de l’art tenteront d’en répondre. Elle nous confie également qu’une prolongation de ces expositions aura lieu en France, à la demande de L’Échangeur 2 qui est déjà en préparation.
—Danielle Tremblay