Indices au cœur de la cassure
24 novembre, 2020
Texte d'accompagnement
Texte par Elyse Portal
Selon une récente étude de l’Université Purdue, nous pourrions aider à sauver l’environnement si nous éteignions nos caméras pendant nos rencontres virtuelles. En 2021, il faudrait une forêt d’une superficie d’environ 115 000 kilomètres carrés, soit 15 fois la taille du parc provincial Algonquin, pour séquestrer la quantité d’émissions de carbone générée par l’utilisation accrue d’Internet. Comme les chercheurs de Purdue, Clayton Windatt veut nous faire comprendre ceci : « parce qu’il faut beaucoup d’électricité pour traiter les données et que toute production d’électricité laisse une empreinte carbonique, aquatique et terrestre, la diminution du taux de téléchargement de données entraîne une diminution des dommages à l’environnement [1]. » La conscience de l’enchevêtrement de la culture numérique et de l’écologie est fondamentale à son œuvre findingtrackzero (2020).
Par souci de réduire sa consommation de données, Windatt ravive le souvenir des anciennes disquettes souples, autrefois omniprésentes, en créant de nouvelles œuvres numériques sans excéder la limite de 1,44 Mo par fichier. Tout processus d’inscription de données a comme point de départ le point zéro de la disquette. Par ces œuvres, l’artiste se demande : comment peut-on accorder de la place à la réflexion, à la bienveillance et au souvenir, plutôt qu’à l’abandon et à la soif de la nouveauté?
Parmi la multitude d’œuvres de Clayton Windatt (produites en 2020 à partir d’archives numériques remaniées et de nouveau matériel), il y a des extraits de récits rotoscopés et des compositions picturales pixelisées. Dans happy endings, Windatt déclare sans ambages que la mort ne peut pas être heureuse, car elle n’est rien de plus que la mort. Dans la compilation 15 minute film festival, qui rassemble environ 25 oeuvres, Windatt superpose des récits de lieux dénués d’appartenance et de temps sans linéarité. C’est ainsi qu’iel rend compte de la dégradation de l’imaginaire du soi et du monde. Son œuvre génère une réflexion qui échappe au discours politique sur les changements climatiques critiqué par le conservateur d’art et psychologue clinique Bayo Akomolafe :
Parce qu’il fait partie de l’imaginaire climatique issu des visées néolibérales axées sur le progrès, le temps linéaire, le contrôle anthropocentrique, la séparation d’avec la nature et l’optimisme technologique, le discours des activistes du carbone empêche de voir d’autres façons de penser et d’agir de concert avec les conditions climatiques. [2]
Dans le mouvement fragmenté et réfléchi de kaleidoscopic, Windatt dit avoir parfois l’impression d’être comme de la glace, puis iel ajoute que « la beauté tient dans la brisure… quand la glace a trop brisé, on a du mal à rappeler ce qu’elle était » [notre traduction]. Avec une attention d’activiste, Windatt érige les forces élémentaires en matière à réflexion et en motif de célébration.
Dans abandoned house, une série qui peut paraître morose, Windatt nous fait voir la vie cachée qui subsiste dans les fenêtres cassées baignées de lumière, les mouches fébriles et les oiseaux criards. Ses notes sur nos dérèglements collectifs découlent d’un souci de compassion. En témoignant de nos multiples crises en collision, dont celle de la COVID-19, l’artiste crée un lieu où l’on peut ressentir la perte (dans Missing You, par exemple), ou encore se livrer à la beauté et au jeu (fire kids 2011), ce qui reflète des rapports élémentaires innés.
Cette collision est à son plus visible dans l’œuvre évocatrice qu’est Temperature and Location, qui montre tour à tour des vues sur des structures abandonnées, des paysages d’hiver féeriques et des masses de glace du lac Ontario encadrant le centre-ville de Toronto. J’entends le souffle lourd de Windatt. J’entends une lutte. L’œuvre me laisse aux prises avec une recherche. Fouillant l’abandon obnubilé, je suis à la position zéro de la piste, en compagnie de couleurs, de lumières, de textures, à la recherche d’indices au cœur de la cassure.
[1] Purdue University. (2021, 14 janvier). Turn off that camera during virtual meetings, environmental study says: Simple tips to go green with your internet use during a pandemic. ScienceDaily. [Notre traduction.] Consulté le 22 janvier 2021 au www.sciencedaily.com/releases/2021/01/210114134033.htm
[2] Bayo Akomolafe. (2017). These Wilds Beyond Our Fences: Letters to My Daughter on Humanity’s Search for Home. Berkeley : North Atlantic Books. [Notre traduction.]