Vu de haut avec Caroline Monnet

Texte d'accompagnement

par Deanna Nebenionquit

 

S’il vous est arrivé de vous retrouver devant une œuvre de Caroline Monnet, vous savez comment on peut se sentir petit devant une exposition. S’il vous est arrivé de vous retrouver devant le travail du commissaire Stefan St-Laurent, vous savez comment une exposition peut vous mettre à l’aise. L’une comme l’autre sont venus de Québec pour présenter à Sudbury une exposition à la fois pertinente et opportune pour la ville hôte.

La Galerie du Nouvel-Ontario est un petit centre d’artistes autogéré situé rue Elgin au centre-ville de Sudbury. Sa façade donne sur le sud et de grandes fenêtres laissent pénétrer une abondante lumière, ainsi que la pollution sonore de la gare de triage avoisinante. Ce petit local semble avoir un cachet historique et un riche passé à raconter. C’est bien que Caroline Monnet et Stefan St-Laurent y soient réunis pour y ajouter leur récit dans le cadre de leur exposition intitulée Wanderlust.

Dès qu’on entre dans la galerie, on subit l’effet frappant d’un long mur de 35 pieds ou plus couvert d’un papier peint à motif futuriste que Blue Moon Graphics de Sudbury a imprimé et installé. Les patrons géométriques de ce papier peint composent un labyrinthe sans fin où des éléments en positif et en négatif sont équitablement représentés. Trois toiles carrées de 60 pouces sont suspendues à ce mur. Ces œuvres (Edith, Caroline, Roberta) font partie de la série Tipi Moderne que Monnet a créée en 2012 dans son studio à Montréal.

Tout à fait au fond de la galerie, on aperçoit des bribes du papier peint exposé dans la fenêtre intérieure de la GNO, qui finit d’une manière ou d’une autre par s’intégrer à chaque installation qu’on y a présentée ces dernières années. On voit aussi un écran de télévision qui diffuse en boucle un film en noir et blanc dont la bande sonore vaguement sinistre a été composée par Frères Lumière. La vidéo s’intitule Gephyrophobia (2012) et le personnel de la galerie explique gentiment que ce mot signifie la phobie des ponts (mais non littéralement).

Ce film en format 16 mm d’une durée de 120 secondes a été produit par une équipe de collègues et d’amis avec lesquels Caroline travaille souvent. Je reconnais certaines des voies ferrées dans la vidéo : il s’agit des ponts qui relient Gatineau (Québec) à Ottawa (Ontario). Parce que j’ai habité un certain temps à Ottawa, cette vidéo me semble bizarrement familière. Les images en noir et blanc donnent l’impression de provenir d’un passé récent, ou peut-être de l’avenir. Le puissant courant de Kitigan Zibi, la rivière des Outaouais, joue dans ce film un rôle essentiel. J’ai remarqué que certains spectateurs voient d’abord l’eau qui coule, tandis que d’autres voient d’abord les ponts qui établissent un lien ou un respect mutuel entre les multiples cultures.

En continuant le parcours dans la galerie selon le sens des aiguilles d’une montre, on voit aux murs six panneaux carrés qui arborent des formes géométriques. Le regard va et vient entre les panneaux de bois accrochés à un mur et les patrons géométriques du papier peint du mur d’en face. On a bien raison de croire que ces motifs ont une interrelation énigmatique qu’on ne saisit pas forcément au premier coup d’œil.

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Le titre de l’exposition est Wanderlust. Il suffit d’une simple recherche Google pour savoir que ce mot signifie le désir d’errer. Pour moi, ce mot évoque davantage la découverte, puis l’interprétation et la réflexion, plutôt que la simple exploration. C’est un mot stimulant et actif qui présente la possibilité de pénétrer dans un nouvel univers de possibilités.

Cette année, en 2018, le centre-ville de Sudbury est à l’aube du changement. Le conseil municipal a approuvé de nouveaux projets comme le corridor vert de la rue Elgin, le plan directeur du centre-ville et une série de projets de construction bénéfiques. Il semble que pour la première fois depuis plusieurs décennies, les communautés convergent pour (on l’espère) soutenir de nouvelles initiatives souhaitables qui revitaliseront le centre-ville et la ville dans son ensemble.

Le message général de cette exposition et l’histoire de ce qui se passe à Sudbury ces temps-ci s’entrecroisent. Notre communauté doit aller de l’avant ensemble pour réaliser des projets et nous devons faire entendre nos voix. Bien qu’il y ait des différences dans notre communauté, il y a aussi des occasions de les faire converger et de créer quelque chose de beau. Dans le travail de Caroline Monnet, on peut voir les lignes transversales de la série Tipi Moderne, les lignes du papier peint et des panneaux de bois et la ligne d’intersection qu’est le pont qui franchit la rivière Kitigan Zibi. Le spectateur peut interpréter ces lignes comme des cartes géographiques qui ont été raccordées pour former un tout à même des perspectives et des médias divers.

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Cette artiste aux origines algonquines et françaises pense aux intersections de ses deux cultures et à leur influence sur son travail et ses idées. L’éloquente et belle Caroline Monnet sait amener les spectateurs à prendre conscience des perspectives et à en discuter. C’est intéressant de l’entendre parler de son travail, principalement de la conceptualisation, de l’exécution, des collaborateurs et des personnes qui installent ses œuvres. À chaque étape du cheminement, l’artiste exprime sa profonde reconnaissance.

Dans sa causerie, Caroline a parlé de l’influence des formes géométriques et des patrons sur son travail. Ce qui m’a paru particulièrement important, c’est ce qui l’a amenée à utiliser le carré et les symboles sacrés : c’est assise auprès des matriarches de sa famille qu’elle a commencé à apprendre ces usages anciens. Son éducation et l’influence de son entourage lui ont permis de pratiquer et d’appliquer ces connaissances d’une manière qui appartient bel et bien au 21e siècle, à l’aide de logiciels de conception graphique et de techniques d’impression modernes.

Je lui ai demandé quelle forme lui sert de point de départ lorsqu’elle travaille. Au lieu de répondre le cercle (comme je l’avais présupposé), elle a répondu qu’elle part du cube ou du carré. À partir de ces formes, on peut créer des patrons infiniment variés et explorer des possibilités sans limites. Effectivement, le labyrinthe laisse toujours voir le carré, où que l’on soit. C’est une forme équilibrée et robuste qui peut servir en toute circonstance.

Donc, le labyrinthe qui s’étend dans la galerie et le labyrinthe qui se déploie dans l’esprit du spectateur découlent d’une intention et résultent d’une structuration.

Au départ, présenter une exposition d’art abstrait est un défi en soi, surtout si le public a l’habitude de formes d’art plus traditionnelles. Selon moi, il faut mettre un certain temps à assimiler une œuvre d’art abstrait. Il faut se sentir suffisamment à l’aise pour entrer dans la salle et assez confiant pour ouvrir un peu plus son esprit afin d’assimiler l’information. Ce n’est qu’à ma quatrième visite environ que j’ai saisi que la série Tipi Moderne est une espèce d’installation en soi. Le tissu soigneusement plié sur le brancard me rappelle que pour bâtir une structure ou réaliser un projet, il faut un travail attentif et résolu.

À ma dernière visite à la galerie avant d’écrire ce texte, j’ai examiné plus attentivement les œuvres en bois contre-plaqué que j’avais négligées jusque-là. Même en sachant qu’elles cachent un élément essentiel sous une énonciation secrète, je ne me sentais pas attirée par la matière de ces œuvres. Il s’agit de feuilles de contre-plaqué à sept couches qui ont été découpées par le feu à l’aide d’un appareil électrique que je ne connais pas. Le feu a dégagé des lignes intensément nettes et le passage du laser a laissé derrière lui une forme noire évidée. En prenant l’œuvre en photo, j’ai été étonnée de constater que je pouvais distinguer ce qui semble être de l’écorce. J’ai alors pensé que, oui, à la base de ce projet et à la base de toutes ces idées se trouve la matière brute naturelle. Ces éléments naturels sont ce qui nous sert pour réaliser nos projets. Donc, en allant de l’avant dans notre petite ville minière nordique qui a de grands plans en vue, gardons aussi à l’esprit que les grandes réalisations reposent toujours sur les matières naturelles, les conseils de ceux qui nous ont précédés et l’intersection de nos cultures. En gardant à l’esprit ce que nous sommes, comment ces terrains du centre-ville ont été utilisés et comment on espère qu’ils seront utilisés à l’avenir, nous pourrons aller de l’avant et réaliser ces grands projets stratégiquement, vus de haut, par la collaboration et la communication.

Caroline Monnet
June (détail)
2018
Gravure au laser sur bois
24 x 24”

L'autrice

Deanna Nebenionquit est une commissaire d’exposition originaire d‘Atikameksheng Anishnawbek, anciennement connu comme la Première Nation de Whitefish Lake. Depuis 2014, elle a été la commissaire de nombre d’expositions présentées à la Galerie d’art de Sudbury / Art Gallery of Sudbury, notamment l’exposition de Darlene Naponse, « bi mooskeg / surfacing », nommée l’exposition de l’année en 2016 (catégorie moins de 10 000 $) par l’Association des galeries d’art de l’Ontario, et l’exposition de Mariana Lafrance « to not be so lonely / pour ne pas être si seule ».

Deanna tient à remercier la Galerie du Nouvel-Ontario d’avoir rétribué les services de traduction de Mme Tenascon, une locutrice de la langue algonquine de la communauté autochtone de Kitigan Zibi. Elle tient aussi à remercier Danielle Printup d’Ottawa (Ontario) et Ella Jane Meyers de Sudbury (Ontario) d’avoir pris le temps de réviser ce texte.