Programmation

1 avril — 2 mai 2006

Maïder Fortuné
Ève K. Tremblay

Lieux contestés

Exposition

Commissaire invitée : Cheryl Rondeau


Lieux contestés réunit les œuvres de deux artistes pour mettre en lumière la dichotomie réalité/fantasme. Les deux séries de photographies traitent d’un déplacement entre le réel et sa représentation. Ces photos semblent capter des instants de jeu entre des filles, mais ce n’est qu’apparence.

Dans sa série photographique « Éducation sentimentale », Ève K. Tremblay met en scène des jeunes filles dans les locaux d’une école privée, là où il est normalement interdit de jouer, là où leurs mouvements sont habituellement surveillés et contrôlés. Mais dans ces photographies, ce sont plutôt les filles qui exercent le contrôle. Devant l’objectif photographique, elles jouent et posent de façon bizarre. Loin d’être un instant intime entre les deux filles en train de jouer la comédie et de faire des gestes extravagants, c’est une mise en scène complètement construite pour l’appareil photographique dont le spectateur est témoin. Chaque cliché est l’objet d’une mûre réflexion: les objets qui se trouvent dans le cadre et les vêtements que portent les filles ont été choisis et chaque pose a été conçue par l’artiste. On pourrait croire que ces filles ne sont que des objets manipulés par l’artiste. Se pourrait-il plutôt qu’elles soient conspiratrices dans un jeu qui séduit le spectateur ?

Bien qu’elle s’intéresse aussi au geste soigné, Maïder Fortuné, quant à elle, se concentre surtout sur le mouvement, comme l’illustrent ses dispositifs vidéographiques. Dans cette exposition, c’est la photographie qu’elle privilégie comme support; elle détourne l’objectif de son propre corps vers celui des deux amies fillettes. Fortuné demande à ses jeunes modèles de feindre la mort sur le lit parental d’une des jeunes filles et ce, face à l’objectif photographique. En image figée, la scène devient une rencontre déconcertante avec la mort. Ces deux petites filles vêtues de très belles robes aux couleurs vives prennent leur rôle au sérieux. Absorbées par le jeu auquel elles se prêtent, elles semblent pénétrer un monde à part, un ailleurs.

Elles oscillent entre le monde du réel et celui du fantasme, un lieu qui échappe à nos regards. On ne sait plus si elles personnifient la mort ou si l’une prend le rôle de l’être mort et l’autre de son âme, comme le suggère si bien la photo Playing Dead N°1. La froideur de leurs regards et la sérénité de leurs visages proposent une impénétrabilité certaine.

Des regards lointains—pourtant pleins de sagesse— nous empêchent de pénétrer leur monde. Leurs gestes et poses insolites sont inconcevables dans ces lieux empreints d’autorité. Malgré le fait qu’elles soient captées en avant plan, elles s’isolent volontiers de nos regards. « Quoi qu’elle donne à voir et quelle que soit sa manière, une photo est toujours invisible : ce n’est pas elle qu’on voit ». [1] Nous voilà revenus à la surface de l’image, un lieu à la fois transparent et opaque. Au-delà de cette surface, plus rien ne nous est donné à voir.

[1] Roland Barthes, La Chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Gallimard/Seuil/Cahiers du cinéma, 1980, page 18.


Maïder Fortuné

Maïder Fortuné a étudié la littérature et le théâtre (École Jacques Lecoq à Paris) avant d'intégrer le Studio national des arts contemporains du Fresnoy, où elle a développé une pratique performative de l'image technologique. D’une grande rigueur formelle, l’œuvre de Fortuné retient toute l’attention du spectateur pour une véritable expérience de l’image et de ses procédés. Récemment, sa pratique s'est tournée vers des préoccupations plus narratives. Lectures-performances et films profondément ancrés dans l'écriture, sont les médiums qu'elle traite pour ouvrir de nouvelles stratégies narratives. Son travail a été exposé à l'international (Europe, Brésil, Canada, Chine, Japon). En 2010, elle a remporté la bourse Villa Médicis à Rome, en Italie. Des expositions et performances récentes ont eu lieu à la Galerie 44, Toronto, au Centre Pompidou Paris et au Festival international du film de Toronto.

Profil de l'artiste

Ève K. Tremblay

Née en 1972, Ève K. Tremblay a grandie entre Val-David et Montréal. Après avoir étudié la littérature française à l'Université de Montréal, elle obtient un certificat en interprétation de l'école de théâtre Neighborhood Playhouse à New York en 1994-1995. Les influences de la littérature et du théâtre sont encore très présent dans ses oeuvres photographiques et visuelles. Elle passe de l’autre côté du miroir et complète un baccalauréat en arts visuels avec majeure en photographie de l'Université Concordia à Montréal en 2000. Au cours des vingt dernières années, elle a vécue et exposé à Montréal, Berlin et New York et a participé à de nombreuses résidences d'artistes telles que IAAB (Bâle), CEAAC (Strasbourg) et Residency Unlimited (New York). Elle est nommée en 2012 pour la longue liste (Québec) pour le prestigieux Sobey Art Award, et récipiendaire de nombreuses bourses, notamment du Conseil des Arts et des lettres du Québec et du Conseil des Arts du Canada.

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